FLASH-BACK : un satellite oublié

Guerres Joviennes: 2150, opération commando sur Io.

Les deux silhouettes venaient de sauter derrière un promontoire rocheux pour se protéger des tirs automatiques des blasters lourds. Leur chute fut freinée par la faible pesanteur et la poussière sulfureuse du satellite Jovien. Aussitôt après, une explosion illumina le paysage chaotique rouge et jaune en projetant des blocs de roches volcanique au dessus de leur abri. Certes, une telle explosion ne faisait guère de différence sur ce satellite secoué par de violentes et fréquentes éruptions dues à la proximité de Jupiter.

C'était la raison pour laquelle cette base rebelle fut si difficile à repérer.

- c'était moins une cette fois-ci Kyle.

Les deux hommes en armure de combat se relevèrent entourés d'un nuage de soufre tout en jetant un coup d'oeil à leur carte inertielle. Aucun mouvement alentour. Il faut dire qu'une charge nucléaire d'un demi kilotonne nettoie tout du sol au plafond aussi bien qu'un Monsieur Propre. La mission s'était bien déroulée depuis la phase d'approche jusqu'à la phase d'infiltration. Ce n'est qu'au moment du replis qu'un drone de surveillance les avait repéré déclenchant les tirs de barrage. Mais de toute façon c'était déjà trop tard pour tout le monde.

Le soldat Dickinson sélectionna une fréquence codée à faisceau très étroit puis il envoya un message que des stratèges militaires attendaient impatiemment.

- brise d'automne à typhon, les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Je répète, les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Terminé.

Ils se demandaient toujours où leurs supérieurs allaient chercher ces codes à dormir debout. Peut être après un soir de beuverie où ils avaient fumé trop de shit.

- il nous reste 21 minutes pour rejoindre le point de repêchage. Prêt Bruce ?

Après un signe de son binôme, Gernsen s'élança vers le bas d'une vallée évasée qui fut le lit d'un ancien fleuve de lave. Il portait son fusil Gauss à la main et se déplaçait par petits bonds rapides comme on le lui avait appris à l'entraînement. Jupiter remplissait entièrement le ciel de Io de sa masse imposante et réfléchissait le rayonnement solaire à plus de 90%.

Ils avaient parcouru à peine 2 kilomètres quand Dickinson s'arrêta.

- Kyle, je ne sais pas ce qui se passe mais j'ai trop chaud.

- tourne-toi, je vais vérifier ton ordinateur de maintenance.

Les scaphandres étaient minutieusement vérifiés par les techniciens avant chaque opération et Gernsen pensa que c'était un problème bénin. C'est à ce moment qu'il pu voir qu'un tir de blaster avait touché l'armure sur un coté du dos. L'impact avait traversé la protection du métal pour mettre mal en point un circuit de régulation.

- alors ?

- heu, attends que je démonte le cache.

Il avait presque les mains qui tremblaient à l'idée de ce que l'ordinateur pourrait lui apprendre. Surtout ne pas s'affoler, pensa-t-il, il ne voulait pas paniquer son équipier.

Pourtant, après avoir entré les codes d'accès, le diagnostic fut sans équivoque. C'était bien le circuit régulateur de température qui était touché. Son rôle était d'équilibrer les échanges thermiques avec l'environnement extérieur et s'il était défectueux la chaleur à l'intérieur de l'armure de Dickinson pouvait facilement atteindre les 300 °C. Ses pires craintes furent confirmées quand il lut les courbes calorimétriques. La température augmentait de 4 °C toutes les 30 secondes et il faisait maintenant 46 °C dans la combinaison de Bruce.

- alors, qu'est-ce que ça dit ?

Sa voix se faisait impatiente. Gernsen devait se maintenir au calme même s'il savait son camarade condamné. Pourtant il ferait tout pour essayer de le sauver, la navette devait les récupérer bientôt. Tant qu'il y avait une chance il fallait s'en saisir.

- écoute-moi Bruce. Le régulateur de température est endommagé et tu vas avoir de plus en plus chaud.

- merde. Ho putain, non !

- écoute-moi bordel ! On peut encore rejoindre le point de jonction et une fois dans la navette tu pourra retirer ton armure. Mais si tu flanches maintenant tu es foutu.

Dickinson écoutait en silence. Une partie de son cerveau devait lui dire qu'il n'y arriverait pas mais l'autre partie lui disait qu'il avait peut-être encore une chance. Les deux hommes repartirent peu après.

Au bout de dix minutes, Bruce trébucha et ne se releva plus. Gernsen pouvait entendre sa respiration haletante et bruyante à travers son intercom. Il consulta le relevé calorimétrique: 113 °C! Et le taux d'humidité qui restait constant. Dickinson devait cuire lentement, comme dans un four.

- Bruce, relève-toi on est presque arrivé.

- j'en peux plus Kyle, j'étouffe.

- relève-toi merde ! la navette est bientôt là.

Dickinson n'avait plus assez d'humidité dans son corps pour pleurer ou sangloter. Il était secoué de spasmes.

- je veux revoir la Terre avant de crever. Je veux pas finir ici.

- tu ne vas pas finir là, mais relève-toi nom de Dieu !

- j'ai chaud, j'ai trop chaud.

Ses mains se mirent à chercher l'ouverture de son casque sans comprendre ce qu'il se passerait ensuite.

- arrête Bruce ! fais pas le con !

Gernsen essayait de l'en empêcher et ensemble ils roulaient au ralenti sous un tiers de la gravité terrestre dans un désert de sable rouge d'oxyde de soufre.

- je brûle Kyle ! j'étouffe !

Dickinson se mettait maintenant à hurler, la chaleur devait être insoutenable.

- arrête ! n'ouvre pas ton casque !

Ils continuèrent de lutter au corps à corps, les deux hommes ne faisaient plus qu'une seule masse compacte. Gernsen devait faire attention de ne pas broyer accidentellement l'armure de son binôme mais Dickinson, devenu enragé par la souffrance, ne contrôlait plus parfaitement les servomoteurs de ses membres et il réussit à déclipser son casque d'une violente traction, l'arrachant presque.

Kyle vit le visage de son compagnon se crisper dans un masque de mort alors qu'il respirait l'atmosphère vicié de Io. Dans un cri silencieux, ses yeux sortirent pratiquement de leurs orbites et une veine du front gonfla avant d'exploser en inondant la visière de Gernsen d'une pluie de cristaux de sang congelés, impuissant devant ce spectacle.

- Bruce.

Le son de sa voix était douce, plaintive, on aurait dit qu'il priait. A genoux à coté du corps maintenant figé, il regardait celui qui avait été son ami depuis les classes militaires jusqu'à l'incorporation dans le régiment Zombie. Ils savaient tous que les chances de survie dans les commando Marine étaient les plus basses, toutes troupes confondues, mais ils se jouaient de la mort jusqu'au jour où cette dernière les rattrapait.

- Bruce, répéta-t-il après un moment

Tel un automate, il s'injecta une dose d'endomorphime malgré les protestations électroniques de son unité médicale puis il s'assit près de Dickinson comme s'il était à une partie de pêche. Et il attendit, contemplant Jupiter qui emplissait toujours l'horizon...

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