Acte III, scène VI : révélations

Quand ils arrivèrent sur le lieu du combat, ils n'en crurent pas leurs yeux. Les murs de l'ancien messe avaient été soufflé et un groupe de survivants tenait la position au milieu des corps de leurs compagnons. Il restait une poignée d'hommes de la Défense Planétaire ainsi qu'un fantassin de l'IM qui tentait vainement de se relever. Les servomoteurs de son armure avaient dû être endommagés ou alors il était sérieusement blessé.

Kroutchenkov était interposé entre ces loqueteux et une créature issue d'un croisement génétique démentiel. Il brandissait à bout de bras un bloc de pierre devant le regard médusé des combattants.

Le monstre semblait inconsistant et ne cessait d'osciller. Il mesurait dans les 3 mètres, sa peau avait une teinte bleu sombre et palpitait comme si elle abritait un système veineux complexe. Le visage ressemblait à un crâne sombre grimaçant dont les yeux auraient été remplacés par deux spots d'un rouge profond et le bout de ses bras étaient terminés par des serres qui se refermaient spasmodiquement sur des tentacules qui sortaient des paumes et s'animaient comme des serpents venimeux. Le plus troublant venait du fait qu'il était constamment entouré d'une fumée épaisse qui l'habillait tel une grande cape et où disparaissaient les faisceaux d’énergie sans lui faire, semble-t-il, le moindre mal. La scène était rendue irréelle par la lumière blafarde de Hrunting et Nagling, les satellites de la planète.

La chose tentait d'avancer mais se heurtait à une barrière invisible. Si elle avait été moins étrangère, on aurait dit qu'un sentiment de frustration se dépeignait sur sa face au rictus éternel. Profitant de ce répit inespéré, Gernsen donna des ordres.

- Clément va aider notre homme. Vous autres, suivez-moi, on se replie vers le terrain d'envol.

Il voulait se retirer sans heurt pour analyser les événements ultérieurement avec le recul nécessaire. Pour l'instant, les rares survivants se retiraient en ordre, aidant les blessés à avancer. Kroutchenkov marchait prudemment à reculons, faisant toujours barrage de son corps à l'être qui suivait le groupe telle une sangsue avide de sang. Gernsen attendit qu'il le rattrape pour en savoir plus.

- quelle est cette chose Andreïs ?

- d'après ce que j'ai pu découvrir, elle n'appartient pas à notre univers einsteinnien mais à une dimension parallèle où s'effectuent habituellement les vols hyper spatiaux.

- pourrait-on la renvoyer dans son propre espace-temps ?

L'agent du BRINT avait du mal à parler et à se concentrer sur ses gestes mais il lui fallait absolument raconter ce qu'il savait, c'était un fardeau trop lourd pour lui seul. Et sa progression était rendue plus pénible encore par un vent chargé d'une neige humide qui venait de se mettre à tomber et qui réduisait la visibilité.

- da, mais cette créature s'apparente plus à un démon, un être qu'on invoque et qu'on lie à sa volonté par un puissant acte de magie.

- vous n'avez rien trouvé de plus tordu que des superstitions datant de plusieurs siècles ?

- regardez par vous-même tovarich. Les vieilles croyances sont bien vivantes et les symboles contre les esprits bien plus efficaces que nos armes modernes.

- la pierre ?

- c'est ce qu'il semblerait, mais ne me demandez pas comment cela fonctionne.

A ce moment, le Falcon au fond de la zone d'envol fit chauffer ses moteurs dans une plainte de turbines. En se retournant, Gernsen vit qu'il s'agissait de la navette leader d'Anderson qui se préparait à décoller. Celle où Breen les attendait était à moins d’une centaine de mètres et la lumière dans le cockpit lui indiqua que son équipage était à bord. Avec un juron il s'élança en courant. Même si les chances de l'abattre étaient faibles, il ne voulait pas qu'Anderson s'en tire si facilement.

A mi chemin, il s'arrêta et épaula son fusil à fusion tandis que la navette se trouvait à 20 mètres du sol et enclenchait sa poussée latérale. Le tir frôla le hublot de la cabine de pilotage et alla se perdre dans la nuit. Aussitôt le pilote poussa les réacteurs en faisant piquer son appareil du nez. Presque immédiatement, les canons du Falcon entrèrent en action. Gernsen se coucha à terre tandis que les faisceaux énergétique prélevait leurs moissons de morts parmi ceux restés en arrière.

Kroutchenkov était trop occupé à maintenir la créature à distance et ne vit pas venir les tirs. Il fut touché au niveau du bassin et mourut sur le coup ; le corps coupé en deux. Un rayon frappa également la chose mais sans lui faire apparemment un quelconque effet. Maintenant que plus rien ne la retenait, elle se jeta sur les hommes avec une vélocité surprenante qu'alimentait le désir de tuer.

- au Falcon ! courrez !

Gernsen hurla ses ordres et se mit à courir comme un dératé. Il savait que la dernière planche de salut était la navette. Le sas était grand ouvert et répandait une lumière rassurante dans les ténèbres environnantes. Clément le rattrapa et le dépassa sans trop de difficulté malgré son compagnon d'arme qu'il portait sur le dos.

Ils plongèrent l'un derrière l'autre dans le caisson de transport. Gernsen fit un roulé-boulé et se mit en position face au sas pour couvrir ceux qui le suivait. Malheureusement, le dernier retardataire fut rattrapé à moins de 50 mètres et démembré sous ses yeux. Alors il fit de nouveau feu ne sachant si cette tentative serait vaine. Cependant, au lieu que l'impact traverse l'être de fumée, celui-ci explosa au contact de la créature qui poussa un cri à déchirer les tympans. Pour la première fois elle connaissait la douleur. Avant que Gernsen puisse tirer une nouvelle décharge, le sas se referma et Hashi Nagatana sortit de la coursive qui menait à la cabine, à moitié morte de peur.

- lieutenant Gernsen, peut-on décoller ?

Kyle se retourna vers ses compagnons. Il vit à la bande patronymique du casque que le blessé n'était autre qu'Edmond.

- affirmatif et en vitesse.

Un choc sourd contre les portes les fit sursauter. A l'extérieur le danger rodait toujours. Gernsen regarda son arme, à si courte distance elle devenait dangereuse pour son utilisateur à cause de la radioactivité dégagée par l’impact. Par dépit il se dirigea dans le poste de pilotage.

Il y trouva Mc Callahan en train d'assurer une compresse sur l'épaule gauche de Breen. Ce dernier était aux commandes et de la sueur coulait de son visage.

- que s'est-il passé ?

- Anderson, Breen grimaça à ce nom. Je l'ai surpris ici quand Kroutchenkov m'a demandé de me préparer à décoller. Il était affairé sur l'ordinateur et il m'a aussitôt tiré dessus quand je suis entré dans la cabine.

- nous l'avons trouvé dans la coursive, intervint Mc Callahan, il était inanimé. Le tir n'a heureusement pas touché de zone vitale.

Les coups de la créature contre le caisson résonnaient dans l'infrastructure avec une régularité de métronome. Le trio se regarda un instant dans l'expectative.

- il a modifié quelque chose ?

- le programme d'asservissement des propulseurs. Il a fait sauter tous les verrous logiciels et risquait d'enclencher la réaction incontrôlée des moteurs à fusion.

- mais pourquoi précisément sur cette nav... décollez Breen ! décollez tout de suite ! magnez-vous !

Le choc qui avait brouillé le cerveau de l'astronaute se dissipa quand il comprit la situation. Après avoir écarquillé les yeux de stupeur, il pianota sur les commandes d'allumage et se saisit du manche. Le décollage se fit pratiquement sans transition.

Alors que la navette montait dans le ciel à plein régime, une clarté aveuglante éclaira la nuit. Elle fut secouée par de violentes turbulences et par l'onde de choc de l'explosion nucléaire provoquée par les postes de combution des Falcons restés au sol. Gernsen se trouvait sur le siège du copilote, de l'eau de pluie et de la sueur détrempait son visage. Il regardait fixement le hublot où il vit apparaître les étoiles de l'espace. Au loin, un point brillait plus que les autres. Breen dirigeait le vaisseau spatial vers le Blockade Runner qui représentait le sanctuaire de la civilisation Terrienne où les certitudes scientifiques de l'Homme lui donnait une image rassurante de l'univers.

Après le chaos nucléaire, le calme était revenu sur l'îlot rocheux de l'archipel de Scylding. Celui-ci attendait patiemment la marée qui n'allait pas tarder à le recouvrir dans quelques heures à peine.

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