Les Willies sont une légende Terrienne : de jeunes femelles mortes noyées accidentellement peu avant leur mariage (union affective à connotation sexuelle) sortent de l'eau des lacs pour mieux y entraîner des jeunes mâles, par vengeance On retrouve cette curieuse inclinaison des humains à faire agir des cadavres, qui en plus ont des motivations stupides : pourquoi tuer des gens qui ne sont pas directement responsables de votre malheur ? L'humain qui baptisa ainsi les indigènes de Dirf IV ne devait pas avoir la conscience tranquille...

Dirf est une étoile verte très banale, possédant huit planètes. La quatrième suit une orbite tellement excentrique qu'elle n'est la plupart du temps qu'une boule de matière gelée. A son périhélie, la température monte au-dessus de –78 ° Celsius, température de fonte de la neige carbonique...

C'est le phénomène géologique lié à l'ensoleillement que l'équipage de Cruella Denfer, une des premières DEMONES, était venu étudier. Le navire s'était posé alors que l'influence du rayonnement de Dirf était négligeable. Il repartirait quand elle le redeviendrait : dans cinq MT. Il n'y a pas beaucoup de place dans ces astronefs, mais l'on avait réussi à caser un scientifique Kree-Kree : la masse de cet oiseau pensant ne dépassait pas quatre kilos.

Les feux intérieurs de ce monde étaient éteints depuis longtemps. Sa structure interne composée de silices alumines, de bérilium et autres impuretés laissait présager la présence de pierres précieuses. Il n'y aurait qu'à se baisser pour les ramasser, quand cette fichue neige carbonique aurait fondu. Ca ne se passa pas tout à fait ainsi...

La fonte dégageait la roche, en commençant par l'équateur. Le Kree-Kree explorait la ceinture équatoriale au fur et à mesure de la mise à nu du sol. Plusieurs fois, Cruella Denfer décolla pour changer de site. L'Oiseau était troublé par l'extraordinaire bouleversement du paysage. Ici, une coulée de quartz était brutalement tranchée par une poussée d'obsidienne. Là une montagne de grès avait été sapée sur des centaines de kilomètres par une constriction de roches incrustées d'éclats de carbure de tungstène. Cà et là des masses de cristaux de natures diverses gisaient, broyées.

Au fur et à mesure de la fonte, le mystère s'épaississait. Les hémisphères Nord et Sud aussi étaient bouleversés, mais différemment. Ils étaient fait de grandes ondulations minérales, de vagues semblant converger vers l'équateur. Puis ils trouvèrent la première " coulée en retour " : une rivière figée d'éléments minéraux broyés, dont les ondulations allaient à contre-sens des grandes vagues convergentes. Ils en trouvèrent d'autres, sur chaque hémisphère, dont de véritables fleuves de caillasse pulvérisée.

Dirf IV était à un mois de son périhélie quand survinrent deux incidents.

Le premier fut provoqué par une femme de l'équipage, une créature pourtant stable, courageuse, équilibrée et remarquablement intelligente. Elle poussa un hurlement, et chercha à se blottir contre le Kree-Kree. Le spectacle dut être plaisant. Un peu calmée, elle raconta qu'elle avait vu une femme bouger, " aussi blanche qu'une foutue Rousselinoise ". On alla regarder: il n'y avait rien qu'un superbe bloc composé de divers cristaux. On conclut à un effet de miroir:

" Tu as eu peur de ton reflet, poupée ".

" Oui, mais je ne bougeais pas, MOI ". On aurait tout oublié si un imbécile n'avait raconté la légende de Gisèle, la Willie.

Le second incident fut une secousse sismique. Cela aurait pu être normal, les rayonnements du soleil faisant travailler la roche. Mais il y en eut une seconde, plus violente, puis une troisième. Ca n'allait plus. Sans activité magmatique, il ne pouvait se produire de telles secousses telluriques. Puis cela cessa. Provisoirement.

La neige carbonique avait complètement fondu, même aux pôles. La température avoisinait son maximum: -70 °C. Cruella Denfer décolla et fit un relevé complet du monde. " Hallucinant ". Les rivières de rocs pulvérisés s'étaient mises en mouvement, vers les pôles Nord ou Sud. Les cailloux avançaient à la vitesse d'un kilomètre par jour. Des roches en mouvement par -70o ! Ces rivières se déversaient dans des bassins entourant les pôles, d'où repartaient les grandes vagues de pierres. Les calottes étaient un ensemble hallucinant de veines de minéraux parcourues, semblait-il, de vagues lueurs. Ce devait être subjectif, les photomètres n'enregistrant rien de spécial.

Puis ce furent les vagues de pierre qui se mirent à leur tour à bouger. Vers l'équateur. A la vitesse de dix centimètres par jour.

Cruella Denfer se reposa. Aussitôt, les sismographes furent pris d'hystérie. C'est alors que les membres de l'équipage virent un bloc minéral, semblable à celui qui avait effrayé la femme, bouger lui aussi. Des excroissances cristallines se développaient dans le sens de sa marche, tandis que se rétractaient celles qui étaient en arrière. La Willie avançait de quatre bons kilomètres/heure... Une autre suivait. Toutes se dirigeaient vers l'équateur, où des rocs éclataient lentement, où des traînées de lapis-lazuli poussaient tant bien que mal un bloc de granit vers des mâchoires de cent kilomètres de large armées de diamants. Une Willie du Nord rencontra une Willie du Sud. On aurait dit qu'elles s'embrassaient jusqu'au moment où l'une d'entre elles éclata. Les envoyés de la Société Galactique avaient déjà compris que c'était la guerre.

Ils restèrent pour observer : ils étaient payés pour cela. Les semaines passèrent. Le froid revint. L'atmosphère de CO2 se transforma en neige carbonique. En commençant par les pôles d'abord, puis jusqu'à l'équateur, le sol fut recouvert d'un blanc manteau. La bataille s'arrêta. Le Kree-Kree voulut emmener une Willie. On le fit, non sans répugnance. La Société Galactique ne devait jamais avoir à regretter ce geste : c'étaient les équipages de ses vaisseaux d'exploration qui venaient d'être embauchés.

On sait maintenant que les Willies sont des êtres minéraux, intelligents et mobiles. On sait aussi que leur esprit ne s'éveille que dans les champs de gravité faibles ou nuls, et qu'ils sont de ce fait condamnés à vivre à bord des astronefs ou des stations où ils travaillent. Mais pourquoi la Guerre sur Dirf IV ?

Bien que la source d'énergie qui anime les Rocs Guerriers soit restée mystérieuse jusqu'à ce jour, il parait probable qu'elle soit activée par l'ensoleillement direct sur la roche, donc qu'elle dépende de la fonte de la neige carbonique. Dès que les rocs équatoriaux apparaissent, des stimulis sont envoyés au centre de pensée de chaque camp, situés aux pôles. Il semble que les Willies aient une importance primordiale dans le processus, étant des extensions des cerveaux. Si l'une des entités parvenait à occuper tout l'équateur, et à faire en sorte que seules ses Willies y figurent, elle s'éveillerait avant sa rivale, mobilisant plus tôt ses forces, et gagnant vraisemblablement tous les combats jusqu'à l'extermination totale de l'ennemi.

Une fois sorties du champ de gravité de Dirf IV, et éduquées, les Willies ne manifestent aucune fidélité particulière pour le camp dont elles sont issues : elles sont à jamais autonomes. Les médusoïdes veulent essayer de stopper les guerres en kidnappant les Willies au fur et à mesure de la fonte de la neige, puis en dialoguant avec les centre cérébraux, leur proposant de rejoindre la Société Galactique. Cette proposition est en discussion depuis des siècles.

Au fait: la femme de Cruella Denfer avait bien vu son reflet dans une Willie. Elle ne s'était pas reconnue malgré la combinaison spatiale. Un micro-mouvement de la créature, provoquant un " bougé " de l'image, avait provoqué son affolement.