Une Jovienne est une planète géante composée de gaz, principalement de l'hydrogène (80 % environ), de l'hélium (15 %), du méthane (3 à 4 %) et d'autres molécules plus lourdes. Ces éléments sont groupés en couches insensiblement différentes les unes des autres. Néanmoins, on peut les classer comme suit :

Ces mondes ont une activité interne intense, de nature électromagnétique. Ils rayonnent plus d'énergie que ne leur en fournit leur soleil : magnétisme, émissions d'ondes radio parasites sur toutes les fréquences. Elles ne sont de ce fait pas très froides : -100 à –200 °C.

Qui pourrait vivre là-dessous ? se demandaient les habitants des mondes au sol dur. Qui pourrait vivre sur ces monceaux de roches surchauffées, se disaient les Médusoïdes des joviennes, en parlant des mondes telluriques ? La première rencontre entre la Société Galactique et les Médusoïdes de Procyon XIX fut intéressante. Ses initiateurs furent des Kaoliniens dont l'astronef, en quête d'hélium, était descendu en chercher jusque dans les basses couches atmosphériques d'une monstrueuse jovienne...

" - La radio supralumineuse est toujours en panne ", dit-on.

" - Les ondes hertziennes ne passent évidemment pas ".

Le commandant avait enveloppé sa carapace de papier hygiénique à usage humain qu'il avait fait dorer et argenter. Le résultat était superbe... selon les critères Kaoliniens.

" - Aspiration ? "

" - Les réservoirs seront pleins dans sept minutes, Commandant ".

Les secondes passèrent lentement. Puis le navire, ayant enfin fini son nécessaire remplissage, leva le nez, mit les gaz et commença à remonter. Pas longtemps. Un choc sourd, une sonnerie d'alarme, puis ce fut l'extinction des moteurs. Le classe COMMERCE commença à redescendre. Dans la salle de travail, les insectes luttaient de toutes leurs forces pour sauver leurs passagers, leur cargaison, leur navire et eux-mêmes... Le Commandant savait ce qui allait se passer. Les principaux étaient hors d'usage. Les auxiliaires ne maintiendraient pas longtemps l'intégrité de la structure. Quand ils lâcheraient, la coque disparaîtrait, tout simplement. Et eux avec. La course entre les équipes de réparation et l'épuisement des batteries fut serrée. Les insectes-marchands la perdirent... De ses quatre gros yeux, le Commandant vit le compteur de charge s'approcher du zéro, le frôler... et, miracle, remonter !

Une Médusoïde avait perçu l'accident. Elle avait interrompu sa méditation solitaire, s'était approchée avec curiosité et avait touché la coque de l'un de ses délicats tentacules. Sentant le " besoin " d'énergie de l'objet, elle s'était faite le médium entre les gigawatts contenus dans l'atmosphère et le navire, évitant ainsi la catastrophe. Les Kaoliniens réparèrent l'avarie et filèrent raconter l'histoire aux autorités compétentes.

Procyon est une binaire composée d'une étoile jaune-blanc très lumineuse et d'une compagne blanche, Ses planètes, au nombre de vingt-trois, sont toutes des joviennes. Procyon XIX (abréviation P19) est le monde natal des Médusoïdes. Les hautes couches sont très lumineuses, et les créatures douées de vue se souviennent longtemps de la splendeur des formations nuageuses gigantesques, des gouffres au fond desquels l'on aperçoit parfois une vague démesurée d'hydrogène liquide passer lentement : l'océan.

Votre navire peut voler des heures durant au milieu des nuages et au-dessus des gouffres lumineux. Puis apparaîtra le premier filotton : une île de neige carbonique, dont la densité est celle des œufs battus en neige, et qui flotte indolemment au fil des ouragans. Si vous avez de la chance, vous verrez un filotton basculer, et quelque chose comme des paillettes commencer à voltiger vers l'océan. La moindre de ces paillettes mesure trente mètres de long. C'est l'une d'elle qu'avait heurté le navire Kaolimen. Elles mettront des heures à descendre, et leur mouvement anarchique s'organisera de plus en plus. C'est groupées en formation impeccable qu'elles heurteront l'océan. Au contact de l'hydrogène liquide se produira un bouillonnement formidable, des jets de " vapeur " seront projetés sur des kilomètres dans toutes les directions. On voit de façon fugitive une structure qui coule, puis la mer se calme.

Il arrive aussi souvent que l'on survole des Pyramidons : ce sont des formes cristallines que l'on dirait faites d'or pur et d'argent. Hélas, ce ne sont que des nuages cristallisés en formes géométriques à la faveur d'une accalmie. Une rafale survient bientôt, et dissipe l'illusion...

Puis vient la première rencontre avec une Médusoïde. Les plus petites font vingt mètres de diamètre sur dix de haut. Les plus grosses atteignent deux à trois kilomètres de diamètre sur moitié moins de haut. La taille de la créature n'a strictement rien à voir avec son âge. Il ne s'agit pas non plus d'une question d'espèce. Les créatures disent que ce n'est qu'une " simple question d'appréhension de soi-même ", quoi que cela puisse bien signifier!

Ce sont de vraies méduses dans le sens où elles ont un flotteur. Là s'arrête l'analogie. Ce ballon (appelons cela ainsi) est rempli d'hydrogène pur, chauffé par l'organisme. Il permet à la créature de voler dans l'hydrogène plus froid de l'atmosphère, exactement comme un ballon à air chaud. Le corps du flotteur est garni de dizaines de tubes ressemblant furieusement à des turbines. Et pour cause, ils en ont la fonction : l'être se déplace par réaction, en soufflant des courants d'hydrogène par ces organes. Sous la créature pendent des filaments qui ressemblent à des tentacules. Certains sont préhensiles : ils sont rarement utilisés. D'autres fils, très fins, incroyablement résistants et rétractibles, mesurent plusieurs dizaines de kilomètres de long. Ils sont destinés à nourrir l'être, en captant la différence de potentiel entre les hautes et les basses couches de l'atmosphère. Oui : notre méduse fonctionne à l'électricité... D'autres appendices, enfin, servent à la reproduction.

La méduse ne perçoit rien dans le domaine de la lumière visible. Curieusement, elle ressemble aux humains dans la mesure où sa sensibilité aux infrarouges est épidermique. Elle capte fort mal les vibrations, dont les sons. Son mode d'expression privilégié est dans le domaine des ondes radio et radar. Chaque créature est une centrale électromagnétique. Son sens radar, très fin, lui décrit son environnement. Les ondes radio lui permettent de communiquer avec ses semblables, et avec les autres espèces de la Société Galactique. Un humain peut discuter avec une médus6fde grâce à la radio de son navire ou de son scaphandre... Les Médusoïdes savent lancer un faisceau électromagnétique si concentré qu'il brûle n'importe quel prédateur. Elles ne le font jamais. Ces créatures NE TUENT PAS. Au lieu de cela, elles ont créé des techniques apparentées aux contre-mesures électroniques : une sorte de judo électromagnétique. Lancez un missile sur une de ces créatures : s'il touche, c'est qu'elle l'aura bien voulu !

Pour non-technologique qu'elle soit, la civilisation de P19 n'en est pas moins si avancée qu'elle représente un des joyaux de la Société Galactique. Cette espèce y est devenue irremplaçable dans la mesure où elle est capable d'appréhender n'importe quel mode de pensée, de comprendre n'importe quelle espèce, de voir le côté positif des pires barbares totalitaires. Cette forme de pensée multiple est la concrétisation des rêves les plus fous des fondateurs de la Société Galactique : l'union des espèces intelligentes, tout en préservant leurs particularités. Opposées à toute guerre, de nombreuses méduses ont payé de leurs vies leurs tentatives de médiation entre adversaires irréconciliables, avant que des Humains et des Zmirrions ne meurent à leur tour afin d'imposer la paix par les armes...

Philosophes accomplies, elles sont avides de toutes connaissances dans ce domaine, même celles des espèces les plus humbles et les " moins développées " (l'expression est une des seules capables de provoquer chez elles un sentiment comparable à la colère). La première ambassadrice humaine à se rendre sur P19 s'entendit poser la requête suivante: " Parlez-moi d'Empédocle ". La pauvre femme dut repêcher au fond de son esprit d'antiques souvenirs de lycée. La suite de la conversation fut grandiose ' avec Ides répliques du style : " Acceptez-vous une garnison humaine pour la sécurité de P19 ? ". " Mais oui, envoyez-nous vos petits soldats. Nous leurs apprendrons à ne plus avoir peur de ne pas tuer ". La vérité oblige à dire que les Médusoïdes n'obtinrent pas les résultats escomptés. Néanmoins, les idées des Médusoïdes, et leur talent à les répandre ' leur ont valu bien des ennemis. L'accès à Procyon XIX est donc soumis à l'autorisation des Autorités...

Quand vient le moment de se reproduire, les Médusoïdes s'assemblent par centaines de milliers. Un consensus s'établit sur l'une d'elle, qui reçoit par radio les codes génétiques de chacune, ainsi que bien d'autres renseignements. Dépositaire d'une prodigieuse quantité d'informations, elle se met en route. De filotton en filotton, elle dépose des " sacs génétiques " qu'elle fabrique au fur et à mesure. Puis, au bout de plusieurs décennies, elle décide de son propre sort. Si elle pense ne plus rien pouvoir amener au Cosmos, elle appelle les prédateurs-parasites...

Revenons aux sacs génétiques. Ils tombent par petits paquets : il faut des années pour qu'un filotton soit totalement débarrassé des siens. Durant la chute, les sacs tissent des téguments entre eux. Puis ils frappent l'océan d'hydrogène et coulent loin, loin, atteignent l'hydrogène métallique, qu'ils attaquent et creusent jusqu'au noyau tellurique, sous des pressions effarantes. Une fois en bas, ils accumulent les éléments dont ils auront besoin au cours de leur vie : carbone, oxygène, fer, etc. Ils doivent déjà savoir " s'appréhender eux-mêmes ", puisque c'est à ce moment que se décide la taille qu'atteindra plus tard la Médusoïde. Et c'est la lente remontée. Une fois atteint le fond de l'océan, le flotteur se gonfle, la créature monte, crève la surface et s'envole, adulte, instruite de l'expérience de ses génitrices, prête à remplir sa tâche. Le cycle aura pris 700 AT. On ignore le pourcentage de sacs génétiques menant la mission à son terme. Sans doute est-il très faible.

Pl9 n'abrite pas que ces remarquables créatures. Il a déjà été fait mention des prédateurs-parasites. Le vocable englobe plusieurs espèces, toutes d'intelligence relativement faible. La plus originale d'entre elles est fascinante dans le sens où elle ne possède pas de corps. Dans les effroyables différences de potentiel de P19 se créent parfois des variantes de foudre en boule, qui se présentent comme des taches mouvantes et lumineuses. Ces amas d'électrons agissent au mépris des lois de la physique, semblant animés par une seule obsession : grossir et accumuler encore plus de courant électrique. Leurs cibles favorites sont les accumulateurs : réserves vitales des Médusoïdes ou des créatures analogues, batteries des astronefs... Ces créatures ont d'abord été considérées comme des phénomènes physiques naturels. Puis leur aptitude diabolique à se glisser au travers des défenses les plus variées les a fait classer comme " animaux atypiques ", ce qui est un aveu d'ignorance quant à leur nature exacte. Une fois bourrés d'énergie, ces monstres éclatent et disparaissent. Les Médusoïdes s'en défendent grâce à leur " judo électromagnétique ". Les astronefs ont intérêt à monter les écrans, si le système de jeu les autorise...