Les trois questions que nous devons nous poser sont les suivantes :

De quoi mon intrigue a-t-elle besoin ?
Quelle sera l'ambiance du lieu ?
De combien de temps de préparation est-ce que je dispose ?

Le premier point est affaire personnelle du MJ : c'est question de circonstances, de style et de tempérament des joueurs.

La réponse à la deuxième question n'est pas simple. Certains MJ, dont votre serviteur, s'intéressent quelque peu à l'astronomie. Ils puisent leurs idées dans des dictionnaires, ouvrages et revues consacrés à la mère des sciences. L'époque est révolue où les astronomes traitaient la SF avec commisération : ils ne craignent pas de citer certains auteurs dans de très sérieuses communications. L'un d'eux, William Hartmann, se pique de peinture, à juste titre d'ailleurs. Ses tableaux montrent les paysages étranges des mondes des soleils lointains. D'autres MJ n'ont aucune envie de faire de l'astro, et c'est leur droit. Je me souviens d'une maître(sse) de jeu qui ne savait pas ce qu'était une naine blanche, et elle avait raison : son univers était charmant, impossible, farfelu et passionnant.

Cependant, au nom du ciel : soyons originaux ! Beaucoup d'écrivains, dont VANCE, utilisent des mondes plus ou moins semblables au notre : l'originalité est d'ordre social. D'autres s'attachent à décrire la beauté, l'étrangeté ou l'horreur de la galaxie. Il serait dommage de ne pas les imiter.

Le troisième point ne pose problème que quand, à l'instar du MJ de notre exemple du début, on ne dispose PAS de temps. Je ne puis que vous donner ma méthode pour ce qu'elle vaut: les mondes que je n'ai pu préparer en détail figurent sur une feuille séparée. Ils sont résumés en une ou deux lignes :

" Sylvia: Quasi-terre 80 % eau. Oiseaux intell. vivent cités de cristal perchées sur montagnes. Félins Avatar agressifs plaine. Guerres raciales. Petites colonies humaines : artistes et marginaux " doux ". "

C'est primaire, et totalement non-représentatif des merveilles de Sylvia la Belle, de son écosystème, de ses climats, ses flores, ses faunes, de ce qui se trouve à ses pôles, à son équateur, etc. Je développe tous ces points par improvisation...

Ne dites pas " je ne sais pas improviser " : vous pratiquez les jeux de rôle, donc votre imaginaire est fort développé. A partir de cela, improviser est question d'un petit entraînement : commencez par un scénario d'une soirée dont vous n'aurez tracé que les grandes lignes, et faites-le jouer en petit comité. Ecoutez les hypothèses de vos astronautes : elles vous fourniront l'essence de votre monde (et de votre histoire par-dessus le marché). Puis recommencez avec une préparation encore plus succincte. Au bout de quelque temps, vous saurez faire face à toutes les situations avec facilité et rapidité. Vos notes se réduiront à l'essentiel. Même les instruments de liberté totale que sont les navires d'Encyclopédie Galactique (capables de changer de cap à tout moment au gré de la fantaisie des PJ, même en vol supralumineux) ne sauront vous effrayer. Vos joueurs disposeront d'une totale liberté de mouvement, et vous en sauront gré...

En tout cas, n'essayons pas de créer un univers complet, ce serait courir à l'échec : si l'on sollicite l'imaginaire de cette façon-là, alors OUI: ses possibilités deviennent limitées. Ne soyons pas trop perfectionnistes : quoique nous fassions, nous proférerons dix-mille absurdités. Et comme il faut un début à tout...

... Que la lumière soit ! Arrêtez-vous sous une lampe à vapeur de sodium (ce sont les horribles lampadaires oranges des parkings), Regardez avec attention autour de vous, Plongez ensuite dans la mer. Descendez à huit mètres, et observez. Vous aurez une idée (mais une idée seulement) du type de lumière qui baigne un monde en orbite autour d'une étoile orange dans le premier cas, bleue dans le second. Un humain habitué au soleil les jugera d'une extrême pauvreté. Les descendants des colons en auront pris l'habitude. Les indigènes y seront évidemment adaptés. On notera que les étoiles oranges et rouges irradient aussi beaucoup de lumière infrarouge (IR), et les bleues d'ultraviolette (UV), que les organes de vision des indigènes sauront capter. Les descendants des humains auront peut-être modifié leur code génétique afin que leurs yeux " voient " aussi l'IR et l'UV ?

Les mondes en orbite autour de plusieurs étoiles verront leur ciel et leur sol agrémentés de jeux de lumière variables selon l'époque de l'année. Par exemple, une planète tournant autour d'une binaire bleue-blanche pourra d'abord voir se lever la géante bleue, qui s'élèvera majestueusement, emplissant tout le ciel. Puis une lumière blanche impitoyable apparaîtra au levant: celle de la naine, qui vampirise la bleue. Une telle union aura curieusement modelé l'écologie de la planète. On notera qu'un tel couple finit quelquefois par l'explosion cataclysmique de la blanche : une des deux causes connues de supernovae.

Une étoile variable créera des saisons fort rapides : du printemps à l'hiver en quelques heures. Là encore, l'écosystème sera assurément curieux, peut-être violent, à coup sûr adapté à la situation.

Et pourtant elles tournent, ces planètes. Sur leur axe, et autour de leur(s) étoile(s). Simples dans la théorie, ces deux mouvements combinés peuvent créer une infinité de climats. Par exemple :

La durée du jour de Mercure est égale à la longueur de son année, si bien que la planète montre toujours la même face au soleil (comme la Lune montre toujours la même face à la Terre). On peut imaginer un monde hospitalier situé plus loin de l'étoile. Il aurait un hémisphère diurne, et un autre nocturne. Chacun de ces hémisphères aura développé une flore et une faune spécifiques, habituées qui à un jour perpétuel, qui à d'éternelles ténèbres... L'équilibre thermique entre l'hémisphère serait singulier: les gaz chauffés par le soleil au niveau du sol diurne monteraient. Ils seraient repoussés en altitude vers la face nocturne. La dépression ainsi créée serait comblée par un courant atmosphérique froid en provenance de la face nocturne. Le terminateur serait donc le siège de vents perpétuels en provenance de la nuit. Quels mythes, quelles légendes ses habitants développeraient-ils à partir de cela ?
La situation de Vénus serait analogue (durée d'un jour: 243 JT, durée d'une année : 224 JT), si elle ne tournait sur elle-même A L'ENVERS de toutes les autres planètes. Une journée sur Vénus est donc de 117 JT, Imaginez qu'une telle planète abrite la vie : flore et faune posséderaient, qui sait, des périodes veille/sommeil de 117 JT chacune...
Nous parlerons brièvement de l'orbite : développer ce sujet nous mènerait trop loin. En deux mots : une orbite circulaire créera un climat également froid, tempéré ou chaud. Une trajectoire irrégulière engendrera une période extrêmement froide ou chaude. Pour la petite histoire, tout n'est pas si simple : le moment où la Terre est le plus éloignée du soleil correspond à l'été boréal (de l'hémisphère nord), et ce pour des raisons d'incidence des rayons du soleil. Passons.

Ecosystème : ensemble des êtres vivants d'un même milieu et des éléments non vivants qui leur sont liés vitalement. (dictionnaire encyclopédique Larousse 1980). Cette définition est parfaite. Elle s'applique au microcosme (petite mare terrestre) comme au macrocosme (Procyon XIX la jovienne et ses méduses ; Orchidée, son climat de serre et son atmosphère d'oxyde de carbone). Il convient de soigner ce décor: l'écosystème de nos mondes imaginaires doit être attrayant, original, terrifiant. La chose à éviter est le centre d'intérêt unique. Procyon XIX est le berceau de célèbres méduses philosophes antimilitaristes, certes. Mais cette jovienne abrite aussi bien d'autres choses...

Faire un manuel de création d'écosystèmes en un chapitre serait présomptueux. Sachons seulement être assez précis pour que nos joueurs y " croient ", et suffisamment " vagues " pour nous ménager des portes de sortie : microbe pathogène (ou bienfaisant, pourquoi pas ?), animal fabuleux, phénomène météo qui cloue au sol les aéronefs (quoique je ne voie pas quel vent saurait empêcher le décollage d'un astronef de TRAVELLER capable, par définition, d'affronter les horribles conditions d'une jovienne ... )

Pour les écosystèmes semblables à celui de la Terre, une chose est certaine : il faut bien manger ! Il est difficile d'imaginer un tel monde où l'on ne se sustente point au moyen de cadavres d'animaux, de plantes ou de débris issus de leur décomposition. A moins d'un développement technologique extrême et d'un extrême respect de la vie. Des êtres à ce stade mangeraient alors des aliments synthétiques qui n'auraient jamais été vivants : viandes ayant " poussé " dans des cuves, plantes synthétisées à partir de minéraux, etc. Le stade ultime d'une telle espèce serait l'absorption directe de l'énergie nécessaire à sa subsistance : se nourrir, c'est transformer, par un processus chimique extrêmement complexe, des monceaux de protéines en quelques watts d'énergie chimique, un peu comme l'on recharge une batterie. Se branchera-t-on un jour à une prise de courant ?

En attendant cet ultime aboutissement, le besoin de nourriture pourra prendre des formes étranges. Dans une nouvelle fort bien faite " La nef engloutie " (" Histoires de planètes "), Ian WILLIAMSON crée une entité composée de myriades de plantes spécialisées, qui vivent en symbiose et forment un organisme unique et intelligent. Cette entité déguste un astronef en acier du chrome jusqu'au plus petit boulon. WILLIAMSON n'a écrit que cette nouvelle, et c'est bien dommage !

Les écosystèmes de mondes non-terrestres sont laissés à l'imagination de chacun : je décide de créer une planète à très forte gravité orbitant si près de son soleil qu'elle est recouverte d'océans de plomb liquide. Dans ce milieu brûlant vivent des créatures aux corps composés d'éléments rendus pâteux par la chaleur, et assemblés par des champs de force émanant de leurs esprits. Leur existence se déroule au ralenti : une pensée leur prend un siècle, le moindre mouvement un millénaire! Ces hypothétiques créatures font partie d'un écosystème fort complexe dont la description délirante serait plutôt longue. Qui viendra me contredire ?

Un mot sur les " monstres " : influencés par le Grand Ancêtre (AD&D pour ne pas le nommer), de nombreux MJ de jeux de SF font attaquer les membres de leurs équipages en armures de combat, par une bestiole qui passait obligeamment par là. Ce n'est pas forcément ridicule, mais il faut se souvenir que le pire des prédateurs est celui qui, à l'instar de l'homme, a su créer des armes perfectionnées. Un dinosaure muni (coup de pot !) de griffes capables de crever une armure de Space Opera est risible si le contexte ne suit pas. Une planète porteuse de semblables créatures ressemblerait à celle de la nouvelle de COGSWELL et THOMAS " Oiseau de printemps " (" Histoires de voyages dans l'espace "), peuplée de créatures mi-métalliques, mi-organiques, tenant du char d'assaut pour les plus petites et du croiseur terrestre pour les morceaux de choix. Ces " bêtes " se livrent à une guerre sans merci avec leurs congénères, à coup d'explosifs et de rayons de la mort. Leur seule autre activité se réduit à exploiter les veines métalliques de la planète ou à absorber les " épaves " de leurs victimes afin d'être toujours plus opérationnels. Il ne faut pas trop chercher la petite bête : un tel écosystème dilapiderait rapidement les ressources minérales du monde en question. Mais quels sacrés beaux monstres !

La Société Galactique abrite de nombreuses espèces vivant sur des mondes aussi bizarres les uns que les autres. Partons en visiter quelques-uns. Nous allons commencer notre voyage par une planète point trop différente de la Terre, puisque toute vie y fut créée à partir de celle du monde natal des humains. Lisez l'histoire de...