Des vaisseaux spatiaux

Les contraintes techniques

Que l'on me pardonne un parallèle avec les navires océaniques de notre Terre contemporaine : ce sera le seul. Deux points, apparemment contradictoires, peuvent être relevés :

Un bateau est le reflet de la culture qui l'a fabriqué. Loin de chez eux, les hommes (et femmes !) qui en composent l'équipage recréent un environnement familier: cuisine, fêtes, petits rites de la vie quotidienne en sont autant d'illustrations.
Mais qu'il soit jonque à moteur ou chalutier soviétique, un navire est aussi un point de convergence des cultures du monde. Les marins de tous pays affrontent les mêmes tempêtes, craignent les mêmes récifs, doivent lutter contre la même corrosion qui rouille les coques, les mêmes animalcules qui pourrissent les bois, la même chaleur qui fendille les plastiques. Quand les navires font face aux lames d'un ouragan, leurs pavillons claquent tous dans le sens du vent ! Fatalement, les mêmes techniques se sont développées, ont été copiées et/ou adaptées...

 

Architectures

Le vaisseau spatial ne diffère pas des navires océaniques sur ces deux points. Il doit affronter le vide, et les différences de température phénoménales qui y règnent. Dans certains systèmes de jeu, l'astronef lancé à grande vitesse connaît les agressions des poussières stellaires. Dans d'autres, le voyage supra lumineux expose l'engin à des agressions naturelles inédites (OTHER SUNS, ou règles avancées d'EMPIRE GALACTIQUE). Cependant, la conception d'un tel navire défie toutes les idées reçues. Ce vaisseau n'est pas un cercueil, il est ouvert sur les étoiles de la création. Sur une fine armature, peut-être de matière, peut-être d'énergie, sont montées des feuilles de matériau transparent, d'une incroyable résistance, qui définissent un espace inscrit dans un volume de forme quelconque: fuseau, sphère, ovoïde, tore, pyramide ...

Les éléments essentiels au fonctionnement de l'engin (machines, aération, systèmes de sécurité, armement) sont répartis de façon à être le moins vulnérables possible. On trouve toujours des systèmes aussi essentiels que les sas mécaniques manœuvrables même en cas de panne totale, les ensembles de survie individuels, les cloisons prêtes à isoler des zones dépressurisées. Dans Rendez-vous avec Rama (Op. cité), Arthur C. CLARKE émet l'hypothèse qu'aucune technologie, si merveilleuse soit-elle, n'oserait faire l'économie de précautions aussi élémentaires...

Mais on reconnaît la puissance d'une technique à son apparente simplicité, sa grande automation et à son extrême discrétion. Aussi, commandes des machines, systèmes de pilotage et de maintien de vie sont-ils quasiment invisibles. Mettons la chaudière à mazout et la chasse d'eau en valeur, dans un de nos appartements du XXe siècle ? Le vaisseau non aménagé doit être un grand espace vide, un bloc de glaise fraîche que les architectes d'intérieur vont modeler en fonction des besoins... Les ingénieurs sont semblables aux carriers qui livrent un bloc de marbre à l'artiste, dont le savoir-faire et le génie tireront la beauté. Mais qui sont ces architectes ? Et surtout, à quoi ressemblent-ils ?

 

Morphologies

L'intelligence peut prendre toutes les formes, et ne se cantonne pas à des bipèdes à symétrie latérale dont la taille va d'l m 40 à 2 ni 20... Affirmer le contraire n'est qu'une forme de racisme. Physiquement, des êtres intelligents peuvent se différencier par leur taille, leur attitude (station debout, allongée), leur mode de déplacement (marche, vol, reptation, natation), leur milieu (gaz respirable, eau, méthane ammoniaque liquide, plasma d'hydrogène), la gravité de leur monde d'origine... La liste pourrait être très longue encore. Il peut donc paraître logique de penser de prime abord que les aménagements intérieurs d'un navire sont fonction de la morphologie des êtres qui les construisent; un astronef de fourmis géantes respirant de l'oxyde de carbone .ne pouvant offrir a priori une traversée de rêve à un humain... En fait, on peut envisager différemment la chose...

Notre postulat de base est le suivant :

A partir du moment où une espèce accepte d'en rencontrer d'autres, et d'engager avec elles des relations d'ordre culturel, commercial ou scientifique, elle s'engage formellement et moralement à créer des structures de rencontre polyvalentes, l'astronef en étant la forme la plus courante.

Si les navires militaires sont limités à un seul écosystème (on verra plus loin pourquoi), les vaisseaux spatiaux civils doivent pouvoir transporter tous les Etres, et leur fournir l'espace, l'atmosphère, la gravité, la température, l'ameublement, en un mot le confort dont ils ont besoin.

Les gros navires sont construits sur le modèle du Point Central de L'Ambassadeur des Ombres (Op. cité): une série de modules de grandes dimensions recréant chacun l'environnement adapté aux êtres qu'ils transportent. Ceci sera détaillé plus loin.

Les petits vaisseaux sont forcément plus limités. Chewbacca devant se baisser pour ne pas se cogner au plafond du couloir d'accès de la passerelle du Millenium Falcon, ce vaisseau est a fortiori incapable de transporter une méduse géante antimilitariste de Procyon XIX (diamètre de la créature : 73 mètres)... Néanmoins, un navire de cette taille peut, le cas échéant, recréer une atmosphère à base de chlore et d'acide nitrique bouillant, ainsi qu'une gravité dix fois supérieure à celle de la Terre.

Des principaux systèmes de jeu de science-fiction, il n'y a, à ma connaissance, qu'OTHER SUNS qui ait envisagé un des aspects de cette nécessaire polyvalence : les différences de tailles, encore qu'elles ne soient pas très spectaculaires. Les navires de ce système de jeu transportent des POINTS DE TAILLE et non des individus. A la lecture des règles et aides de jeu, il est néanmoins permis de se demander comment un astronef Korli (écureuils d'l m 15 de hauteur en moyenne) pourrait bien transporter des Bjora (sortes d'ours de 3 m 50 de haut ... ) .

 

Mentalités et choix de société

Une étude spéculative des mentalités de diverses ethnies humaines et non-humaines nécessiterait une encyclopédie à elle toute seule. Que l'on songe aux abîmes d'incompréhension qui séparent certaines peuplades de la Terre, et l'on aura la mesure des difficultés que présentera une prise de contact pacifique avec des non-humains. Dieu sait ce que l'on pourrait trouver dans un astronef de vers géants ! Rappelons seulement le postulat posé plus haut: contacts pacifique commerce impliquent acceptation différence et effort de convivialité.

Bien qu'issue des mentalités, la question des choix de société nous est plus accessible. Diverses pressions sociales d'ordre historique, philosophique, religieux, etc, imposent certains aménagements. Nous voyons mal un astronef construit par des japonais sans l'autel des ancêtres... Des finlandais ne songe pas un instant à se passer d'un sauna. Des musulmans développeront un système informatisé incroyablement performant qui leur indiquera en permanence 1a direction de leur Ville Sainte (le problème des vols hyper spatiaux sera difficile à résoudre, mais l'inventivité que confère l'intelligence est sans limites !).

Cependant, le point des choix de la société va bien au-delà de ces quelques détails. L'astronef doit affronter un monde hostile : froid, chaleur, vide, univers einsteiniens... Certes, il est " ouvert " à ces milieux, partant d'un principe connu de ceux qui pratiquent les arts martiaux: laissez passer l'agression, usez de son énergie contre elle et elle n'aura pas de prise sur vous…

Mais un batracien admire d'autant mieux l'étoile quintuple au large de laquelle croise son navire à la coque transparente, qu'il est confortablement enfoui dans un marécage de boue tiède, sa longue langue allant parfois pêcher à quatre ou cinq mètres de délicieuses friandises ailées, gluantes et vivantes... Un humain préférera des huîtres et du champagne, sans doute...

Certes, il existe des sociétés pour lesquelles les mots " esthétique " et " confort " n'ont aucun sens. Celles-là sont étranges, vaguement inquiétantes, mais pas forcément dangereuses.

Mais gageons que nous ne sommes pas privés de nos chères sociétés obscurantistes et coercitives, composée moutons, et gouvernées par des êtes dont la grande intelligence n'est qu’une forme de crétinisme; des êtres qui éprouvent un irrépressible besoin de régenter, paterner, contingenter, réprimer, embrigader, convertir et j'en passe... A eux les navires aux formes sévères, aux intérieurs gris et rébarbatifs, les vies de casernement régies par de strictes hiérarchies fondées sur la force et l'humiliation... Les seules décorations de ces cercueils sont les portraits de salauds débiles : intelligents Torquémadas du futur, Hitlers hystériques du vide. Ces sociétés n'ont cure qu'une technique transcendante se soit faite discrète pour laisser la place au beau. " Tout le monde en rang .. J'veux voir qu'une seule tête ... ". Ceux-là font de magnifiques " vilains "... et leurs opposants de bons aventuriers en puissance !

 

Des équipages

Il faut les faire fonctionner, nos vaisseaux si bien aménagés...

Laissons de côté l'extrapolation logique des possibilités de l'informatique et de la robotique du XXe siècle: les êtres vivants, lents, faillibles, vulnérables, sont relégués au second plan... Des réseaux de calculateurs gèrent tout, à bord du navire. La moindre décision passe par eux, si bien qu'ils finissent par s'interroger sur l'utilité des créatures de chair et, ne trouvant pas de réponse, décident de les supprimer... Daniel F. GALOUYE en donne un exemple désopilant dans sa nouvelle Le meilleur des équipages (Op. cité) !

Pour une raison ou une autre, les équipages vivants continuent d'exister... Dans Dune (Op. cité), les ordinateurs ont été bannis pour des raisons d'ordre social... L'auteur des règles avancées d'EMPIRE GALACTIQUE imagine que le voyage supralumineux fait appel à des notions si ésotériques que seuls des êtres vivants et intelligents peuvent l'appréhender... Dans sa magnifique nouvelle Le vaisseau qui chantait (Op. cité), Anne McCAFFREY voit l'équipage des navires d'élite de la Terre sous forme d'un " binôme " composé d'un être humain, mobile, et d'un cerveau humain enchâssé au coeur de l'astronef : celui d'un être à qui la nature a refusé un corps normalement constitué, et qui serait autrement condamné à une vie d'éternel assisté...

Il y a aussi les émigrants de l'infini, les Gitanos du vide, les éternels voyageurs. Ceux-là, certainement de la même origine, ont quitté les planètes, et choisi de vivre dans le vide... Ils ne se contentent certes pas de petits navires. Les cultures qu'ils développent, tous les auteurs de SF sont d'accord là-dessus, sont un curieux mélange d'éléments disparates, cueillis sur les mondes qu'ils visitent, allié à une farouche individualité, une fierté exacerbée et... une susceptibilité peu commune !

Pourtant, les Libres Commerçants de Citoyen de la galaxie (Op. cité), le Peuple des Etoiles de Pour patrie l'espace (Op. cité), les Nomades de La route étoilée (Op. cité) représentent autant de cultures différentes. Si les premiers sont bien intégrés dans la civilisation galactique, les seconds la fuient comme la peste ! Les troisièmes, plus ambigus, agissent dans un premier temps au mieux de leurs intérêts avant de se rallier à la cause des mondes dont ils sont issus...

 

De la démocratie

Quelle que soit la société qui a fabriqué le navire, une chose est certaine : l'équipage sera organisé selon une structure hiérarchique très formelle. Cette hiérarchie est peut-être " adoucie " par l'amitié qui unit ses membres. Elle sera d'autant plus efficace si elle est basée sur un respect mutuel. Elle aura sans doute des garde-fous (il existe dans l'U.S. NAVY une procédure par laquelle un officier supérieur en grade est relevé de ses fonctions par un officier de grade inférieur). Mais malheur à celui qui la transgressera ! La démocratie est possible à tête reposée, loin de tout danger. Il est hors de question de traiter démocratiquement une attaque de Klingons, ou de mettre aux voix le sens dans lequel il faut esquiver une Star Torpedoe.

On voit qu'un meneur de jeu a le choix quant à l'organisation de ses équipages... Quoiqu'il en soit, le personnel peut être séparé en trois catégories :

les techniciens, assurant la conduite de l'engin et l'entretien des systèmes de vie ;
les commerciaux chargés de la gestion financière et du bien-être des passagers ;
les combattants dont la fonction de protection des personnes et des biens, pour n'être qu'épisodique, n'en est pas moins essentielle.

Les divers systèmes de jeu de rôle ont tous ceci en commun que les personnages joueurs peuvent tous assumer au moins l'une de ces fonctions : celle de combattant... Pour des raisons de jouabilité que tout MJ comprendra, les PJ assument au moins deux ou trois tâches sur le vaisseau. L'astronavigateur est aussi steward, et sait faire le coup de feu en cas de besoin. Il n'y a que sur les navires de petite ou moyenne importance que le " personnel multifonctions " est nécessaire, les grands astronefs disposant en abondance de tout le personnel qualifié dont ils ont besoin. Mais aux dangers de l'espace, aux contraintes commerciales, le commandant d'un léviathan du ciel doit alors peut-être ajouter un autre souci : le syndicalisme...

 

Equipages & JdR

On peut reprocher à SPACE OPERA le trop grand nombre de personnes nécessaire au maniement d'un navire: le minimum donné dans le Seldon's compendium of starcraft 1 est de quatre individus (BANNER class, page 12).

L'ancêtre, TRAVELLER, a tout de suite créé un navire manipulable par une seule personne : le Scout Courrier. Tous les créateurs des jeux récents ont compris cette nécessité de restriction de personnel. Ainsi, de STAR TREK à OTHER SUNS, il existe toujours un navire qui convient aux solitaires.

 

De la technique

Vaste sujet ! Quelles seront ses possibilités dans vingt ans ? La mesure de notre ignorance est donnée par les projets des avions des années 1970 que l'on peut voir dans les vieux Science et Vie des années 1945-1950. Si ces braves journalistes avaient vu Concorde ! Et pourtant... La forme superbe du bord d'attaque de l'aile delta aurait semblé bien familière aux architectes géniaux qui firent les cathédrales.

Un meneur de jeu ne doit donc pas modifier sa ligne de conduite sous prétexte que " Dans 20 ans, ce sera comme ça ! "

Inversement, il ne doit pas hésiter à modifier ce que la technique actuelle remet en cause : je pense à l'informatique. Rien n'est plus mai admis par les joueurs qu'un ordinateur " ringard ", et il faut bien dire que le créateur de TRAVELLER n'avait jamais entendu parler d'une base de données et des architectures en réseaux.

Mais on peut aussi couper les ponts, admettre que la technologie a réalisé l'impossible, que le monde s'applique à délirer, en un mot: lire John VARLEY ! Remplacez un de vos poumons par un appareillage complexe capable de créer un champ de force autour de vous. Que la pression baisse dans l'astronef, et hop ! vous voilà entouré d'une couche de gaz respirable retenue par un champ de force. Vous pouvez même tomber sur Jupiter, vos chances de survie sont bonnes ! Si vous choisissez de vivre en apesanteur, remplacez-donc vos pieds par des " podes ", ou des pieds de singes préhensiles. Et si votre vaisseau marchand passe dans une ceinture d'astéroïdes, allez donc saluer les symbiotes, des créatures qui ont choisi de vivre au milieu du vide, protégées par une curieuse entité végétale. L'une d'elles vous échangera peut-être une symphonie magnifique contre un blaster et un chargeur à moitié plein !

 

Des astroports

Si les navires de l'espace sont des points de convergence de la société galactique, les astroports en sont les ultimes focus ! Vastes champs à peine fréquentés sur les planètes à faible trafic, ou bien fourmilières n'ayant pas désempli depuis des siècles sur les mondes-clefs, les astroports sont le point de passage obligé de toutes les créatures qui touchent ou quittent le sol... du moins pour celles qui le font légalement ! Imaginons un peuple de petits poissons intelligents. Les éducateurs emmènent souvent les alevins à l'astroport, afin de leur montrer les grands vaisseaux et leurs équipages. Un jour, le fretin émerveillé voit passer, dans un drôle de tube transparent, des créatures de légende appelées " Humains " !

On peut séparer les astroports en deux ensembles, les astroports sol, et les astroports hors-planète.

Sur les mondes de basse technologie les premiers sont rudimentaires : une piste, un système d'aide à la navigation, un baraquement adapté à l'environnement. Les résidents s'y rendent que lors de l’arrivée d’un navire le plus souvent un caboteur, un petit navire des douanes, ou bien le " courrier " semestriel (ou annuel!). Sur les mondes de moyenne ou haute technologie, l'on trouve plusieurs de ces astroports, qui sont interconnectés au moyen de transports locaux. Ils couvrent rarement une grande superficie : les navires qui s'y posent sont de taille modeste. Ce ne sont que des points de passage, qui ne possèdent guère d'intérêt: ils ressemblent bien trop à nos aérogares!

Les astroports hors-planète sont fort différents. Leurs dimensions sont ahurissantes ; des écosystèmes entiers y sont représentés. Le ballet incessant de navires à l'accostage ou au déhalage offre un spectacle étourdissant. Parfois, l'arrivée d'un vaisseau aussi gigantesque que la station elle-même attire de nombreux touristes, et flanque des migraines aux forces de sécurité ! Ce sont de petites villes, qui peuvent être très modernes, un peu désuètes, voire même antiques: l'érosion du vide se combat mieux que celle des éléments. Ces astroports sont des centres d'affaires très actifs. Les ambassades des créatures dont la présence n'est pas souhaitable sur le sol de la planète y sont installées. De nombreuses intrigues s'y nouent. Des aventuriers y guettent les coups fumants, et les trouvent !

Citons pour finir les ascenseurs orbitaux. A mi-chemin entre les astroports sol et les astroports hors-planète, ces installations sont un gigantesque piquet re fiant le sol à l'orbite géostationnaire. Les navires stoppent près du terminal espace. Les passagers gagnent l'astroport et embarquent dans des navettes qui ne sont que de vastes ascenseurs. Ils gagnent le sol en toute sécurité, admirant le panorama le temps d'une consommation. Sur ce sujet, on lira avec profit Les fontaines du paradis d'Arthur C. CLARKE.

 

Des navires

On voit qu'un astronef peut être autre chose qu'un tas de tôles rivetées ! Nous allons détailler trois types de navires : un grand paquebot, un petit cargo rapide et un astronef de combat léger. Chacun de ces chapitres commencera par un bref historique du peuple qui a construit le vaisseau, ceci afin d'en expliquer la structure... Puis nous décrirons l'engin lui même, ainsi que son équipage. Nous finirons la présentation par un ou deux " micromodules ", exemples que tout MJ saura développer comme il convient...