L'ascenceur Orbital

copyright Ó 1988 Pierre Zaplotny

LA BOUGEOTTE

Les " petites " planètes au sol dur telles que mima, Mangass'Ij, Kampofle, la Terre et j'en passe ont un problème. Les espèces intelligentes qui s'y développent commencent par errer sur le sol, généralement en direction du soleil couchant. Elles y bâtissent des villes aux rues étroites, où les passants se bousculent. La roue est inventée. Les animaux dociles et musclés disponibles tirent des charrettes peu maniables dans des voies à peine plus larges que quelques siècles auparavant. L'ère des diligences est brève, suivie de celle du chemin de fer, plus pratique. Les abords des garés sont malcommodes aux nouvelles automobiles, championnes toutes catégories du temps perdu. Le transport aérien exige des pistes consommatrices de place, ce qui limite le nombre des aéroports. Dans les airs, les avions se frôlent. Au sol, les autos (toujours elles) se bousculent. Les trains sont à l'heure.

Conquête de l'espace: le monde rejoint la Société Galactique. Le commerce interstellaire se développe. Les astroports, vulgaires aérogares hypertrophiées, dévorent place et énergie. L'atmosphère des planètes se remplit de navires qui y entrent dans le fracas des bangs supersoniques, en sortent en grondant, y évoluent en un trafic toujours plus dense. Des accidents sont inévitables... Deux transports hyperlumineux de 500 000 tonnes qui se percutent au-dessus d'une zone urbaine : c'est la catastrophe qui arriva à la Terre, une nouvelle fois victime des pollutions sonores et chimiques, et des embouteillages.

Douze ans plus tard, plus un seul astronef n'évoluait dans le ciel de la planète bleue. Dans le même laps de temps, son trafic avec les autres mondes avait augmenté de 11 %...

L'ASCENSION FABULEUSE

Prenons un humain de la Terre. Notre " homme N vit sur un continent nommé Antarctique, couvert de glace parce que le rayonnement de l'étoile Soleil y est peu abondant. L'homme doit prendre l'espace. Il appelle un n taxi ", sorte de véhicule automobile, qui pénètre dans le sous-sol de son domicile. L'homme embarque, indique sa direction :

- " Terminal GEO 4.

- Bien monsieur... "

L'engin automatique traverse la ville sous cloche, et se dirige vers un tunnel devant lequel deux autres véhicules sont en attente. Un sas s'ouvre, dans lequel pénètrent les trois taxis. La porte se referme, la pression baisse, et les engins sont propulsés sur des rails magnétiques qui s'enfoncent dans les profondeurs de la planète. Sans contact matériel avec leurs supports, évoluant dans le vide, la vitesse des modules est maintenant de 8 000 kilomètres à l'heure. A intervalles réguliers, des aiguillages dirigent les voyageurs sur New-York, Paris, Shangaï... Confortablement installé dans son fauteuil, le passager traverse l'océan Atlantique Sud, jusqu'à l'île de Saô Tomé, située sous l'équateur. L'engin ralentit alors que les voies s'incurvent vers le haut, et que le siège bascule pour rester à l'horizontale. Toujours sous le niveau du sol, le tube à vide qui contient les voies se colle à une structure carrée de vingt mètres de côté, et de quarante-deux mille kilomètres de long !

Maintenant lancé à la verticale, le taxi reprend de la vitesse. L'édifice crève la surface de l'océan à quelques encablures des plages de Saô Tomé : un piquet de section carrée, sur chaque côté duquel court un tube transparent. Notre voyageur est sur la face Est. Saô Tomé rapetisse sur sa gauche, et les côtes d'Afrique, distantes de trois cents kilomètres, sont sous ses yeux.

Le spectacle est fascinant pour tous ceux dont la vue est le sens privilégié. A 10 000 km/h, la haute atmosphère est vite atteinte. Le tube s'interrompt, et le taxi continue sa course dans le vide (naturel) de l'espace. La planète Terre s'éloigne sous le sol transparent. Après 3 h 15' d'ascension, le véhicule ralentit, pour de bon cette fois. En levant la tête, le voyageur voit apparaître un point lumineux, qui grossit : la station géosynchrone. Des centaines d'astronefs flirtent autour d'elle. Le taxi entre à un modeste 80 km/h dans le terminal.

- "  52 crédits, monsieur. Bon voyage, monsieur. ".

L'homme a mis 5 h 30' pour se rendre à l'orbite géosynchrone en partant du pôle Sud, et ce pour le prix d'un repas dans un fast-food...

UNE IDEE FORT SIMPLE

Le principe de l'ascenseur orbital est d'une extrême simplicité : un ancrage solide au sol, un très long piquet, un contrepoids, et beaucoup de calculs.

La mise en application pratique est un cauchemar. Les problèmes de résistance des matériaux sont un casse-tête de première grandeur. La construction passe par des phases horrifiantes, dans lesquelles le droit à l'erreur n'existe pas. Et d'aucuns voient d'un mauvais œil la fin de la manne des taxes d'atterrissage...

Le matériau

La relative fragilité des substances naturelles est due au fait que les molécules qui les composent sont assemblées en agrégats discontinus. Le meilleur acier possède une résistance bien faible par rapport à ce dont a besoin un ascenseur orbital, et une masse beaucoup trop forte. La technologie galactique a créé des matériaux composés de molécules continues. De telles substances peuvent être filées sur des longueurs infinies. Leur résistance à la rupture par traction, torsion ou cisaillement, est fabuleuse. Elles rendent possibles les astronefs aux formes arachnéennes, les cités qui montent jusqu'aux nuages et les ascenseurs orbitaux. La matière de base n'est pas tirée des mines planétaires : trop de pollution, trop cher à monter en orbite. Tous les systèmes stellaires disposent d'astéroïdes composés de carbone et d'autres éléments. Il est facile de puiser dans ces mines fort riches.

La construction

L'astéroïde destiné à fournir la matière première est amené sur le lieu du chantier: l'orbite géostationnaire. Deux méthodes sont alors possibles.

- la spirale : la tour construite dans le vide est enroulée sur elle-même. Une des extrémités a la forme d'une tête de clou. Une équipe au sol construit un trou assez large pour la recevoir, et d'une profondeur à l'avenant. L'autre extrémité ressemble à s'y méprendre à un filet à papillon ! Un groupe dans l'espace prépare un second astéroïde, destiné à servir de contrepoids. On lance la " tête du clou " vers le sol au moyen de propulseurs, alors que le lest s'approche du point de rendez-vous avec le " filet à papillon ". Comme l'ensemble se tend, les forces s'équilibrent et les deux bouts de la tour perdent de la vitesse. La " tête de clou " pénètre dans le trou en continuant à ralentir. Le lest entre dans le filet, dont les mailles se resserrent. La tête ayant atteint le fond du trou, des explosifs font dégringoler dessus des mégatonnes de rochers, qui fixent l'ensemble. On peut procéder au montage des stations, puis commencer l'exploitation commerciale.

Ce procédé spectaculaire, rapide (trois cents jours) et élégant reste peu utilisé à cause de ce qui se passa sur le monde natal des Orchidiennes. Suite à une cascade d'erreurs infimes, le lest rata le filet. Un fouet de plusieurs milliards de tonnes gifla les océans de glycérine et les jungles de ce monde tranquille, alors que la tour s'enroulait autour de lui au niveau de l'équateur. Il n'y eut par miracle pas de victimes, et les Orchidiennes passèrent l'éponge avec humour : " La chasse aux vers de vase n'avait jamais été aussi bonne ! ".

- la descente : à partir de l'orbite géostationnaire, un câble est lancé vers le sol : l'infrastructure nécessaire pour l'opération est fort légère, et les risques minimes. Ce filin sert de guide à la descente de quatre rubans unimoléculaires. Ces quatre rails fermement ancrés au sol, le gros œuvre commence. Deux tours sont construites à partir de l'astéroïde-matière première. L'une descend le long des rails, l'autre monte vers le ciel, afin que l'ensemble reste en équilibre. Cinq années sont nécessaires à la réalisation d'un tel édifice.

Les tours

Chaque monde majeur possède plusieurs tours. Certaines sont réservées au transport des voyageurs : un gros effort est alors fait pour accueillir les nombreuses espèces de la Société Galactique. D'autres, destinées aux marchandises, sont des monstres automatisés. Les modules qui escaladent leurs flancs sont grands comme des navires océaniques, et la vitesse d'ascension est assez lente (6 000 km/h). Les astronefs équipés en cargos mixtes se rendent d'un type de tour à l'autre pour embarquer fret puis passagers.

Une précaution

Bien que ce soit assez peu connu du public, les ascenseurs orbitaux sont munis à intervalles réguliers de bombes " propres " destinées à les couper! La raison en est facile à comprendre. En cas de cisaillement de l'édifice, il aurait tendance à dériver soit vers le vide (rupture sous la station géosynchrone), soit vers le sol (rupture du support de lest). Si le premier cas n'est pas dramatique (des astronefs pouvant évacuer les habitants), il faut empêcher le second à tout prix. Une bombe couperait donc la tour de façon à ce que la station reste en orbite, devenant un satellite. Des charges sont prévues pour pulvériser la base de l'édifice, afin qu'il s'écroule en faisant le moins de dégâts possible...

LA STATION GEOSYNCHRONE

Elle ressemble à une station orbitale, mais personne ne s'y trompe : c'est un morceau du sol de la planète miraculeusement placé en plein ciel. L'artéfact affecte la forme d'un cône tronqué. La tour semble le traverser de part en part. II est composé de trois niveaux, tous soumis à une gravité normale, la Société Galactique sachant la créer

- Niveau I : point d'arrivée des modules, c'est aussi un lieu privilégié pour le tourisme. On s'y rend comme jadis on montait sur les tours des cités planétaires : pour admirer le paysage. Situé en zone franche, chacun peut y acheter des produits détaxés, et avoir l'impression de réaliser une bonne affaire...

- Niveau II : douanes, centres de décontamination, magasins et réserves, administration, logements du personnel, c'est le centre nerveux de l'ensemble.

- Niveau III : c'est une vaste esplanade multiécosystèmes de technologie orchidienne (voir POLLEN COSMIQUE). Les points d'amarrage des astronefs y sont situés. Quelquefois, un monstre du vide s'y arrime, et l'on se presse au premier niveau pour l'admirer.

PLUS HAUT

La tour supérieure et le contrepoids ne sont pas inutilisés. Propriété du Conseil Galactique, ils servent de lieu de villégiature aux créatures pour lesquelles il n'est pas question de descendre au niveau du sol. Les Willies perdent leur intelligence dans les champs de gravité planétaires intenses. Les Maméoss secrètent des kilos de dioxine chaque heure: leur transpiration.

Toutes ces créatures sont ainsi reliées à lasurface du monde-hôte, ce qui a une grande importance psychologique : les infrangibles statuts de la Société Galactique sont ainsi respectés (quand une espèce est admise, elle l'est par tous et partout...).

MICROMODULE

Les habitants de Loc Klinz, des chenilles aquatiques, ont édifié une civilisation non-technologique si avancée que la Société Galactique leur a proposé l'intégration. Ils acceptent, mais s'opposent à l'implantation d'édifices de grande taille, tout en demandant à exporter les minerais, dont ils disposent en quantités fabuleuses. Ils exposent donc leur monde où tout est recueillement et harmonie aux nuisances des cargos minéraliers, pas spécialement réputés pour leur discrétion.

La planète convenant aux humains, des diplomates de cette espèce ont été désignés pour convaincre les Loc Klinzans d'accepter un ascenseur orbital. Les PJ sont soldats, astronautes, explorateurs etc. Ils servent d'escorte aux négociateurs. Alors que ceux-ci attrapent des méningites à répondre aux fleurs de rhétorique des chenilles, les personnages font du tourisme. Ils s'aperçoivent vite qu'ils sont considérés comme diplomates à part entière !

Les chenilles savent qu'elles demandent l'impossible. Elles veulent connaître les réactions des citoyens de base de la Société Galactique (les PJ) face à un problème insoluble. Si elles sont satisfaites, le permis de construire sera délivré. Sinon, l'intégration sera repoussée de quelques siècles...